M. Djian saisi par la débauche

L'Express du 06/04/2000
par Thierry Gandillot

Vers chez les blancs
Philippe Djian

Pour son premier roman pornographique, l'auteur de 37o 2 le matin peine à dépasser les figures imposées

Il faut reconnaître à Philippe Djian, outre le fait d'être un écrivain exigeant, au moins deux qualités: le goût du risque et une certaine constance. A la fin de Sainte-Bob, son précédent roman, il annonçait son intention d'écrire un livre pornographique; le voici. Pour autant, il n'en méconnaît pas la difficulté: «Je trouve qu'en matière pornographique, explique-t-il à Catherine Flohic, dans un entretien qui paraît ces jours-ci (1), pour commencer, personne ne fait rien de bon. C'est toujours trop ou pas assez.»

Comment trouver le ton juste? Philippe Djian s'est donné un degré de liberté en imaginant que l'épouse du narrateur et ses deux enfants sont morts dans un accident d'avion deux ans plus tôt - deux ans de chasteté. Pour lui, sa femme est toujours vivante. Et quand, au début du livre, elle lui lance: «Pourquoi pas un porno?», il reprend la balle au bond sans avoir le sentiment de la tromper. Ecrire un porno est à la fois un acte d'amour envers sa femme disparue et un exorcisme.
Les familiers de Djian ne seront pas désorientés à la lecture de Vers chez les blancs dans la mesure où l'auteur de Zone érogène a souvent abordé de front la question de l'obscénité, mais jamais de façon aussi envahissante. A lire les premières scènes hot - une joute érotique dans le salon d'essayage d'un magasin de lingerie féminine; une partie de jambes en l'air particulièrement sportive, où le narrateur tente, sans y parvenir, de reconstituer l'ordre des séquences - on se dit que ce diable d'écrivain va remporter son pari. Mais avec l'apparition d'un trio de prostituées japonaises et l'irruption d'une fausse Madonna, l'intérêt pour l'exercice s'émousse. Peut-être parce que les ballets érotiques, en dépit de la débauche d'imagination qu'ils supposent, reviennent fatalement à un certain nombre de figures imposées. Et que les mots pour le dire se révèlent plus limités qu'on ne le croit. Djian, le premier, en est conscient: «La langue doit être plus forte que les images, explique-t-il à Catherine Flohic. L'image pornographique semble avoir un pouvoir absolu. Comment trouver le moyen de la surpasser? En employant les armes de la littérature.» Et si, devant un tel mystère, il fallait tout simplement rendre les armes?

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